Le Figaro – 27/03/20 – Apocalypse, punition divine : quand le coronavirus crédite les prophéties fondamentalistes et sectaires
28 mars 2020
Les extrémistes religieux profitent de la crise sanitaire pour jouer sur les peurs, prédisant que la fin des temps approche.
À qui profite le coronavirus ? «Aux extrémistes de tous bords», résume, sous couvert d’anonymat, un cadre du renseignement intérieur. La crise sanitaire, en France comme dans le monde entier, a entraîné une propagation incontrôlée de fausses informations. Charlatans et «décontaminateurs» ont sauté sur l’occasion pour proposer des méthodes farfelues pour annihiler la maladie. En s’attaquant au portefeuille des plus naïfs. Depuis le 1er mars, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) dit avoir reçu «une quarantaine de signalements» à ce sujet. Les escrocs, adeptes de faux remèdes, occupent une place de choix dans ces plaintes.
Mais l’organisme fait également état de «religieux extrémistes et de
leaders qui entendent démontrer que la crise sanitaire actuelle,
qu’ils avaient prévue, valide leur théorie».
Partout sur le Web, les discours dangereux d’organisations sectaires et
autres fondamentalistes religieux, de toutes obédiences, se multiplient. Les
témoins de Jéhovah, par exemple, affirment que Jésus (Nouveau
Testament, Luc 21:11) avait prévu l’épidémie. «Il y aura de grands tremblements de
terre, et, en divers lieux, des pestes et des famines; il y aura des phénomènes
terribles, et de grands signes dans le ciel», citent-ils dans une vidéo publiée
sur leur site. «Nous ne sommes pas surpris que des épidémies
arrivent», rassure l’organisation. Selon elle, «les
événements que nous vivons montrent plus que jamais que nous vivons la fin des
derniers jours et même sans aucun doute la fin de la fin des derniers jours,
juste avant le dernier des derniers jours». Présidente du
Centre national d’accompagnement familial face à l’emprise sectaire (CAFFES),
Charline Delporte, se désole : «Pour eux, c’est simple : la
fin des temps arrive. Jéhovah va faire le tri».
« Les événements que nous vivons montrent plus que jamais que nous vivons
la fin des derniers jours et même sans aucun doute la fin de la fin des
derniers jours, juste avant le dernier des derniers jours » Les
Témoins de Jéhovah
«La fin des temps»
Au CAFFES, malgré l’arrêt des activités en raison du confinement, les
appels de familles en détresse face aux organisations sectaires se poursuivent.
Il y a quelques jours, Charline Delporte a reçu le coup de fil d’un père de
famille, en pleurs. Sa femme est partie il y a dix jours avec sa fille de 9 ans
chez ses parents, fanatiques des témoins de Jéhovah. Depuis, elle ne donne plus
de nouvelles. «Leur enfant reçoit des études bibliques disant que
c’est la fin des temps, que les mécréants vont mourir»,
raconte-t-elle. «Il s’agit d’une rechute. Cette femme s’est dit que
“ça y est”, les prophéties édictées depuis des années par ses parents étaient
vraies. Que la colère de Dieu est là. Et que pour pouvoir aller au paradis, il
faut être ensemble, pour vivre les dernières heures».
Côté islam, le frère de Tariq Ramadan, Hani Ramadan, directeur du Centre
islamique de Genève, n’y va pas par quatre chemins. Citant un hadith du Coran,
il affirme que «le fait que les hommes se livrent ouvertement à la
turpitude, comme la fornication et l’adultère (…) déclenche des maladies et
des épidémies nouvelles». Dans une vidéo visionnée plus de 200.000
fois, le controversé rabbin Rav Ron Chaya certifie que l’épidémie est une «volonté
divine» dans un monde miné par «la débauche sexuelle et le
vol». L’éminent prédicateur chiite irakien Hadi al-Modarreisi, avait prétendu en
février que le coronavirus était tout simplement «un acte
d’Allah» contre les Chinois. Le pasteur Mamadou Karambiri a lui été infecté par le
Covid-19 lors du fameux rassemblement évangélique à
Mulhouse, responsable de milliers de contaminations en France.
Après sa guérison qu’il juge «miraculeuse», le Burkinabé a
assuré que le Covid-19 était «un plan satanique» pour «détruire le
monde».
La Miviludes met en évidence ce thème de la punition divine et de l’éminence
de l’apocalypse. «La crise sanitaire est utilisée pour valider
des croyances millénaristes ou apocalyptiques, pour valider les critiques sur
l’évolution de la société, de ses valeurs et de l’ensemble du système
socio-économique occidental», confie au Figaro Anne Josso,
secrétaire générale de l’organisme. «Les mouvements sectaires jouent sur
la peur, qu’ils dénoncent par ailleurs en répétant qu’il ne faut pas avoir
peur. Le message est toujours le même : ceux qui suivent la bonne voie et
respectent les prescriptions seront sauvés», poursuit-elle. «Ces
personnes remettent directement en cause la science, dérivant sur des chemins
très divers», déplore Daniel Sisco, président de l’association pour la défense des
familles et des individus victimes de secte (ADFI) d’Ile-de-France. Charline
Delporte est du même avis : «Pour eux, les lois de la République
n’ont aucune importance. Ce sont les lois de Dieu qui comptent».
Du respect du confinement
Les lois de la République, elles, imposent en ce moment en France le confinement
total de la population, hors déplacements
de première nécessité. Cette règle est globalement respectée par les organisations sectaires et
leaders fondamentalistes. Mais, selon nos informations, la Miviludes a reçu une
dizaine de signalements dénonçant les réunions d’études et rassemblement
organisés par de petites églises évangéliques. Trois signalements font état de
réunions d’études dans des groupes évangéliques. Deux autres indiquent que les
témoins de Jéhovah poursuivraient leur mission d’évangélisation dans les petits
villages. Sur les forums privés, les fidèles semblent beaucoup moins
prudents. «Il y a clairement un double langage», constate une
source bien informée. Quoi qu’il en soit, le démarchage a de beaux jours devant
lui sur les réseaux sociaux : «J’ai été démarché sur Facebook par
un évangéliste/prédicateur. En résumé, il propose la guérison au Covid-19 si on
vient adhérer à son “église”», relève un anonyme.
Daniel Sisco craint que ce confinement ne provoque des dérives car il «oblige les
gens à rester ensemble». «Lorsque les groupes sectaires sont
confinés, cela créé des tensions, des comportements dingues, déraisonnables», analyse-t-il. La
Miviludes, estime plutôt que «le contexte général créé des
conditions favorables pour la diffusion de théories qui vont à rebours des
discours officiels». «L’augmentation du niveau d’anxiété face à un danger
insaisissable, l’isolement qui renforce chez certains l’impact des discours
extrêmes car ils ne rencontrent pas de démentis, le recours à des communautés
virtuelles pour rompre l’isolement, sont des facteurs qui jouent pour des
personnes fragilisées psychologiquement, mais aussi pour celles qui cherchent à
comprendre ou à contenir leur angoisse», précise-t-on Charline Delporte,
elle, est catégorique : ces temps incertains constituent un
véritable «terreau pour fondamentalistes et
pseudo-religieux» car «même les plus rationnels d’entre
nous ont peur».